Iran : les femmes se créent une liberté furtive en faisant tomber le voile

Shirine Zarkan
25 Mai 2014


Le 7 mai dernier, des manifestants protestaient à Téhéran sans autorisation pour soutenir la réglementation iranienne du code vestimentaire. Leur but : réagir contre l’immoralité répandue dans la société. Treize jours plus tard, six jeunes iraniens, trois hommes et trois femmes ont été accusés par la police des mœurs de « s’exposer vulgairement » en heurtant la « sensibilité de tous » pour avoir tourné une version iranienne du clip Happy de Pharrell Williams sur Youtube.


Crédit : My Stealthy Freedom
L’immoralité est la notion qui a été la plus malmenée au rythme des régimes successifs en Iran. Le principe a évolué à partir du moment où la Révolution iranienne a écarté le Shah du pouvoir à la fin des années 70. Se détournant de l’idéal initial des révolutionnaires, un régime autoritaire leur a été imposé, balayant l’influence occidentale de l’Etat tout juste libéré. Les Iraniens sont ainsi passés de l’autorité du Shah, placé par le Royaume-Uni, à celle de conservateurs les soumettant à l’une des interprétations les plus austères de la charia (loi musulmane). 

Dans son film d’animation Persepolis, Marjane Satrapi présente cette évolution comme soudaine et en désaccord avec les mentalités de l’époque. Du jour au lendemain, femmes et hommes ont vu leur liberté être limitée avec notamment l’imposition du voile aux femmes, l’interdiction de se fréquenter hors mariage et la censure de tout produit en provenance de l’Occident. Cela se ressent aujourd’hui avec un écart entre les générations : alors que les plus jeunes sont habitués aux contrôles de la police des mœurs, leurs parents se souviennent de l’époque où ils pouvaient profiter d’une liberté plus large sans voile ni secret.
Image du film Persepolis

La police de la moralité a fait des semblants de concessions ces dernières années : femmes et hommes non-mariés peuvent désormais sortir ensemble et parfois même vivre ensemble. Tout cela encadré par les familles et les proches afin que les concernés ne soient pas publiquement couverts d’opprobre. Les femmes ont également le droit de conduire une moto, même si cela reste extrêmement rare. La dernière ayant tenté l’expérience est aujourd’hui accusée d’avoir provoqué un accident en déconcentrant les autres conducteurs. Assurément, ces prétendues libertés sont insuffisantes et certaines iraniennes n’acceptent plus les restrictions qui leur sont imposées. Alors elles innovent, elles contournent ces lois artificielles et parfois même, elles laissent tomber le voile.

Sur Facebook, les iraniennes envoient des photos sur lesquelles le voile est partout, sauf sur leur tête

Aujourd’hui, la réglementation du code vestimentaire préconise le port du voile et de vêtements les plus amples possibles. Le non-respect de la loi est passible de soixante-dix coups de fouet et soixante jours de prison, mais certaines Iraniennes prennent le risque.

Créé par la journaliste Masih Alinejad, le mouvement « My Stealthy Freedom », « Ma Liberté Furtive » en français, est l’une des voix de ces Iraniennes. Un groupe Facebook publie ainsi des photos de femmes iraniennes à visage découvert. Qu’elles posent négligemment leur voile sur leur nuque ou qu’elles le laissent flotter au vent à bout de bras comme un drapeau, chacune à sa manière de protester et expose ainsi son petit morceau de liberté à la fois à l’abri des regards et à la vue de tous.  Seules ou accompagnées d’autres femmes ou d’hommes, tous soutiennent la même cause : celle de la liberté, en particulier la liberté vestimentaire. 

Pourtant ce mouvement est semé d’embûches. Des doublons de la page ont été créés pour rassembler l’identité des iraniennes qui envoient leurs photos et des menaces de mort sont adressées à celles et ceux qui osent s’exposer. Les iraniens les plus conservateurs n’ont pas tardé à réagir en masse lors de la manifestation du 7 mai dernier pour prôner le respect de l’humilité qui est selon eux la garantie de la sécurité des femmes. Sans autorisation légale, ils ont pu défiler pendant un peu plus de deux heures avant d’être interrompus par le chef de la police de Téhéran, Hossein Sajedinia.
Crédit DR

Flatter les femmes pour les inciter à protéger leur valeur en se couvrant

Ces derniers mois, des affiches placardées dans les rues de Téhéran recommandent aux habitants de protéger leurs femmes et leurs filles. Tout en finesse, l’une d’entre elles les compare à des pistaches dont la saveur est conservée grâce à leur coquille fermée. Sur une autre affiche on peut lire que telle une voiture de luxe, la femme doit être soigneusement recouverte pour ne pas être convoitée par d’autres. 

Tant d’images que l’on pourrait trouver amusantes mais qui n’ont pour seul but que d’envelopper les femmes sous un voile de ténèbres qui leur garantirait une prétendue protection. Si auparavant les iraniennes avaient déjà lutté pour leur liberté lors de manifestations et d’apparitions dans les médias, c’est la première fois qu’elles défient l’autorité aussi directement.

Le port « négligé » du voile est devenu un symbole de la jeunesse libérée qui le transforme même en véritable accessoire de mode. Cependant, avec le début de l’été, la police des mœurs craint de voir les femmes se découvrir à cause de la chaleur étouffante des mois à venir. 

Les autorités imposent donc davantage de contraintes, ce qui renforce la volonté des Iraniennes qui transforme leur liberté furtive en véritable mouvement national en sublimant à leur manière le port de leur voile.